CULTURE BIKER

Né de la poussière…

…tu redeviendras poussière (ou comment le Dirt-Track donna naissance au mouvement) !
par Henri Lœvenbruck (article paru dans Freeway)

Course de Dirt Track en 1947.

Si le plus ancien moto-club américain remonte à 1902, c’est surtout dans les années 1940 que le phénomène des MC connut une expansion sans précédent, et c’est aussi lors de cette décennie que naquit la notion de clubs « hors-la-loi ». Parmi les facteurs de cet engouement, le principal remonte à 1934. Cette année-là, l’American Motorcyclist Association trouve une idée de génie pour doper les ventes de motos dans le pays : elle ouvre les compétitions de Dirt Track au grand public en créant les courses de Class C.

 

Arrivée d’une course de Dirt Track en 1947.

Le succès du Dirt Track :

Si les courses sur asphalte – et en particulier le MotoGP – sont aujourd’hui devenues les plus populaires du sport motocycliste, ce furent celles sur terre qui occupèrent le dessus du panier pendant toute la première moitié du vingtième siècle. Organisé sur des circuits de terre de forme ovale, sur lesquels on tourne dans le sens contraire des aiguilles d’une montre (et donc toujours vers la gauche), réservé à des motos sans frein et sans pneus à crampons, le Dirt Track était le royaume de la glisse, l’assurance d’un spectacle de gladiateurs extraordinaire et d’un suspense total jusqu’à la ligne d’arrivée. Divisées en trois catégories, le 1 Mile (1 600 m. de circonférence), le Half-Mile (800 m.) et le Short Track (environ 400 m.), ces épreuves étaient assez simples à mettre en place, car les organisateurs pouvaient profiter des très nombreuses pistes de courses de chevaux préexistant à travers tous les Etats-Unis.

En 1934, coup de génie, l’AMA introduisit donc une nouvelle catégorie, la classe C, permettant l’inscription de motocyclettes standards (et non plus de prototypes), beaucoup moins coûteuses, ouvrant du même coup la compétition au grand public. Alimentant la rivalité commerciale entre Harley-Davidson et Indian, les courses de classe C rencontrèrent dès la fin des années 1930 un succès phénoménal, puis plus immense encore à la fin des années 1940, après l’interruption imposée entre 1942 et 1945 par la Seconde Guerre Mondiale. Cet engouement fit exploser le nombre des moto-clubs américains. Jusqu’alors, rien de folichon : petites ballades dominicales, jeux bikers, participations au Gypsy Tour, les membres des MC d’avant 1934 n’avaient pas accès à de bien grandes sensations…

Mais, dès 1934, des dizaines de courses de Dirt Track sont organisées tous les mois à travers les États-Unis, chacune d’entre elles chapeautée par le moto-club local. Consulter la liste de ces courses dans les numéros d’American Motorcycling (revue officielle de l’AMA publiée à partir de janvier 1947) donne le vertige. Du sud au nord du pays, des centaines de motocyclistes prennent part à ces compétitions sensationnelles, qui attirent parfois jusqu’à cinq ou six mille spectateurs ! Certains se professionnalisent et deviennent de véritables stars, comme Ed Kretz ou Ernie Roccio, tous deux membres du 13 Rebels MC de Los Angeles, Sam Arena du San Jose MC, Billy Huber du Pagoda MC, ou le célèbre Wilbur « Lammy » Lamoreaux, qui brilla dès les années 1930 en remportant des courses sur l’une des légendaires motocyclettes de l’ingénieur Al Crocker.

C’est d’ailleurs pour participer à ces courses que les jeunes motards des années 1940 prennent l’habitude d’alléger leurs motos, de les « couper », donnant naissance à la célèbre ligne « bobber », qui connaît aujourd’hui un fulgurant come-back…

Ed Kretz sur son Indian en 1947.

Naissance des moto-clubs « hors-la-loi » :

Paradoxalement, c’est précisément ce même phénomène qui donna naissance, après la Seconde Guerre mondiale, à la notion de « outlaw motorcycle clubs » et à la stigmatisation de ceux-ci.

En effet, à partir d’avril 1947, l’AMA décréta que, pour prendre part à ces courses amateurs, tout compétiteur devait appartenir à un club « sanctionné » (homologué) par l’association. Or, plusieurs facteurs firent que quelques moto-clubs (essentiellement californiens) ne purent ou ne voulurent recevoir ladite homologation.

D’abord, il faut savoir que, jusqu’en 1954, comme dans beaucoup d’institutions de l’époque, dans une Amérique encore ségrégationniste, l’inscription à l’AMA était interdite aux personnes de couleur. Ainsi, si votre moto-club comptait un membre afro-américain, il devenait de facto « hors-la-loi », selon le terme même de la sacro-sainte association. Or, l’un des rares bienfaits de la Seconde Guerre Mondiale fut de briser de nombreuses barrières entre les jeunes blancs et les jeunes noirs qui, envoyés sur le front dans la même galère, nouèrent des liens de fraternité encore assez inédits à l’époque. De nombreux moto-clubs, exclusivement blancs avant guerre, décidèrent de laisser entrer des membres noirs au retour du conflit, et devinrent dès lors « hors-la-loi ».

Ensuite, la très puritaine association se réservait le droit de ne pas sanctionner un club ou de l’exclure selon d’autres critères… moraux. C’est ainsi, par exemple, que le Boozefighters Motorcycle Club se vit refuser son homologation car son nom faisait trop directement référence à la joyeuse consommation de bibine de ses membres, ou que d’autres perdirent la leur et devinrent « hors-la-loi » après s’être illustrés dans de glorieux moments d’abandon… Interdits de prendre part aux courses officielles, ces MC ne se privèrent pas d’organiser ici et là des courses « sauvages », notamment à Gardena, sur un vieux terrain qui, des années plus tard, allait devenir Ascot Park, le plus célèbre circuit de Dirt Track californien. À noter d’ailleurs que, dès septembre 1947, le Boozefighters MC et le Galloping Goose MC, alors très proches, s’unirent pour créer une « outlaw MC association » dans le but de défendre les droits de ces clubs décrétés hors-la-loi par la toute puissante association, une initiative qui fut reprise dans les années 1960 avec la création des célèbres confédérations de clubs.

Toujours est-il que, dans les années 1940, ces courses de Dirt Track inspirèrent la création d’une myriade de nouveaux MC, tantôt participants, tantôt organisateurs, et que tout ce petit monde se retrouvait chaque week-end lors de Field Meets (rassemblements organisés en rase campagne) où l’on se livrait à des courses sur terre, à du Hill Climb (escalade de collines) et autres compétitions étranges sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir dans un futur épisode. À cette époque, l’AMA octroie tous les mois des chartes à des dizaines de clubs, et – plutôt que la simple appellation géographique utilisée dans les années 1930 – l’on voit apparaître alors des noms de clubs un peu moins consensuels : le Viking Riders MC de Newport, le Black Ace Tag-a-Long MC du Michigan, le Diablo MC de Walnut Creek, le Phantom Riders MC de Mountain View, le Flying 8 Ball MC de Shreveport, etc, etc.

Le célébre Sam Arena.

Et si on s’y remettait ?

L’observateur moderne serait en droit de regretter que – pour des raisons certes législatives, dans un monde de plus en plus sécuritaire – ces réjouissances aient peu à peu quitté les rassemblements motocyclistes. À l’origine, en toute logique, les moto-clubs se réunissaient pour participer et assister à des courses… motocyclistes ! C’est même pour cette raison que l’on portait des couleurs dans le dos, afin de montrer son appartenance sur la piste ! Or, à partir de la fin des années 1960, la pratique de la moto elle-même a paradoxalement commencé à disparaître des rassemblements bikers ! La plupart des fêtes où se rendent les MC d’aujourd’hui ressemble bien plus à des festivals de musique qu’à autre chose, et on est en droit de le regretter. Le retour du Dirt Track – l’une des compétitions motocyclistes les moins coûteuses tant pour les participants que pour les organisateurs – ne pourrait-il permettre de remettre enfin la moto au centre de nos rassemblements ?

Alors que la FFM remarque depuis peu un regain d’intérêt de la part des plus jeunes compétiteurs pour la course sur piste de terre, et que quelques courses sont organisées principalement dans le sud-ouest de la France, depuis quelques années, quelques glorieux fondus ont pris des initiatives allant dans le sens d’un retour au bon vieux Dirt Track amateur. Ainsi, nous vous encourageons à découvrir le Flat Track Invitational organisé par Vintage Racing Spirit sur la piste homologuée de Mâcon, le Dirty Sunday organisé à Eauze par Activa Garage, ou le déjanté Dirty Sau6, organisé près de Brest par Timothée Monot… De grands moments de rigolade où l’on retrouve l’esprit fêtard et compétitif originel des MC d’antan !

Dans une volonté salvatrice de retour aux sources du mouvement biker, nous ne saurions trop inciter les organisateurs de rassemblements à se pencher sur la question… Plutôt que de se regarder dans le blanc des yeux, revoir des membres de MC s’affronter sur des circuits de terre ne serait-elle pas la plus saine des réjouissances ? À bon entendeur…

SPITFIRES